Si les souvenirs de vacances restent intacts, les paysages quant à eux évoluent sous l’influence de multiples facteurs. Le trait de côte, ligne située entre la plage et le pied de la dune, ou en pied de falaise, naturellement mobile, est rectifié par la météo-marine mais aussi par le développement urbain. Se combinant à la marée haute et aux basses pressions, la tempête Xynthia a touché le littoral de la Charente-Maritime et de la Vendée dans la nuit du 27 au 28 février 2010. Elle a provoqué une catastrophe naturelle de grande ampleur, non sans rappeler d’autres grosses tempêtes oubliées, dont les dégâts, impactants des zones agricoles ou pastorales, avaient été moins importants.
Ces évènements météo-marins, dans un contexte de changement climatique, modifient notre regard sur cet interface terre-mer. Doit-on stabiliser le trait de côte ou imaginer des espaces acceptant la submersion ? Comment situer notre intervention dans cet écosystème changeant ?





Crédit photo Parcours paysages
UN RECUL DU TRAIT DE CÔTE DANS LES TERRES
Largement ouvert sur l’océan Atlantique et sur l’estuaire de la Gironde, la Charente-Maritime est marquée par son linéaire de côtes sableuses et marécageuses. Faits de phénomènes d’érosion, plutôt hivernaux, alternants avec ceux d’accrétion (accumulation de sable en pied de dunes), en période de beau temps, ces mouvements du trait de côte assurent la respiration de l’écosystème et sa richesse écologique.
Toutefois, l’intervention humaine vient renforcer l’érosion naturelle et le recul du trait de côte. Les aménagements en avant et sur le front de mer, les piétinements des dunes et les extractions de sédiments (sables ou galets) aujourd’hui interdits sur la plage, dans la dune bordière ou en mer, viennent perturber les mouvements propres aux écosystèmes des côtes sableuses.
Actuellement, la presqu’île d’Arvert au Sud-Ouest du département est couverte par une importante forêt de pins faisant front au recul de la dune. Alors que la mer pénètre encore profondément dans les ruissons (rigoles d’écoulement des eaux) du marais de la basse Seudre, permettant ainsi le développement de l’ostréiculture, le marais de Brouage, quant à lui, est presque entièrement asséché, après avoir été le centre producteur de sel de mer le plus important d’Europe du 7ème au 18ème siècle*.
ALORS QUI DE L’HOMME OU DE LA MER DESSINE LA LIGNE ?
Les côtes charentaises sont une interface terre-mer associant une attractivité propre à de nombreux sites littoraux et une vulnérabilité exacerbée par le relief de ce bassin sédimentaire de très faible dénivelée (entre 2 et 3 m NGF).
Appartenant entièrement au Bassin aquitain dont le département de Charente maritime forme l’extrémité septentrionale, les transgressions marines d’il y a environ – 200 et – 100 millions d’années (la mer recouvre les terres) y ont déposé les calcaires qui en constituent son sous-sol. A l’ouest, les marais côtiers d’aujourd’hui sont le thème principal du paysage des côtes charentaises avec le marais de Rochefort, celui de Brouage et celui de la basse Seudre. Façonnés par l’érosion de la fin de la période glaciaire – l’abaissement considérable du niveau marin à cette époque, a eu pour conséquence un surcreusement – ils ont été comblés par la bri, vase d’origine fluvio-marine, lors d’une remontée du niveau de la mer il y a -12000 ans environ (fin de la dernière glaciation). La mer pénètre alors profondément dans les pertuis (zones maritimes abritées) et transforment ces espaces surcreusés en marais. Au Sud-ouest, sur la presqu’île d’Arvert, les dunes de sable quartzeux fin reposent sur d’anciens marais et sur les calcaires du Crétacé ; leur formation est récente.
La question se pose aujourd’hui de l’impact du changement climatique sur les modifications du trait de côte. Évaluée à 60 ou 80 cm en 2100, l’élévation du niveau des océans reste en dessous de l’altitude moyenne des marais charentais. Notons toutefois qu’ « Une étude publiée par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) évalue à la hausse les prédictions de montée des eaux à cause de la fonte des glaces. Les scientifiques qui ont signé cette étude estime que le niveau de la mer pourrait grimper jusqu’à 2,4 mètres d’ici la fin du siècle. »1
Le changement climatique et la montée du niveau des océans ne sont donc pas à ce jour les plus impactants sur le trait de côte, ce qui n’est pas le cas des épisodes météo-marins, ni des choix en matière d’urbanisme. « À moyen terme, le réchauffement climatique est susceptible d’intervenir sur l’érosion des côtes beaucoup plus par une plus grande intensité des tempêtes que par la hausse du niveau de la mer. À long terme, les effets d’un niveau marin plus élevé dépendront de l’environnement sédimentaire local. » 2

VIVRE UN PAYSAGE ÉVOLUTIF ET DANS CERTAINS CAS PÉRISSABLE
Après la tempête Xynthia, un important travail a été mené localement associant L’État et les collectivités, en 2011 et 2012, qui a mis en avant l’importance du « maintien d’espaces non-bâtis submersibles ../… outil de prévention et de protection à mobiliser au même titre que les digues et les épis ../… des aménagements doux , acceptant la submersion temporaire, régulière et visible, entretenant la mémoire du risque » 3 .
Des plages interdites car devenues trop étroites, ne peuvent plus accueillir les baigneurs et leurs serviettes. Des programmes immobiliers avec vue sur la mer sont abandonnés. Des restaurants en bord de côte menacés de fermeture. Les habitants se préparent à faire de cette actualité, la question d’avenir de leur territoire, mettant alors en place différentes stratégies, faisant échos à ces travaux et ceux de la « Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte »4.


Faire avec la mer et non contre, est le mot d’ordre lancé, avec trois axes phares :
- relocaliser l’activité humaine au profit des espaces naturels
- utiliser des techniques souples de maitrise du recul du trait de côte (couvertures de branchages, rideaux brise-vents ou plantations, opérations de rechargement des estrans… )
- avant de recourir aux protections contre la mer dans les seuls secteurs densément peuplés


* Carte et notice géologique BRGM Saint Agnan, Royan, Rochefort et Climate central : https://coastal.climatecentral.org/map
1 – RSE Magazine – mai 2019 – Fonte des glaces : les mers pourraient monter de plus de deux mètres
2 – Magazine de l’ANABF – déc. 2018 – La mobilité du trait de côte, Par Yvonne Battiau-Queney , Professeur émérite de l’Université de Lille, CNRS- UMR 8187- Laboratoire d’Océanologie et Géosciences, présidente de l’association EUCC-France
3 – Le philotrope – Revue du réseau scientifique thématique PhilAU – juin 2015 – Littoral submersible en Charente-Maritime : un territoire à risque peut-il être vécu sans être nécessairement bâtis ? Par Julie Colin, paysagiste DPLG
4 – Ministère de la Transition écologique, 2012, Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte
5 – Magazine de la Charente Maritime – Mars 2020
